20 ANS à la Brigade…

Nicho­las Bady —  — Modi­fiée le 27 mai 2021 à 05 h 09 
Illustration dossier 20 ans à la Brigade

Grands formats — Avoir 20 ans de service ou simplement 20 ans à la Brigade : quelle différence ? Avoir 20 ans à la création de la BSPP, être spécialiste depuis 20 ans ou encore, avoir deux fois 20 ans de service : quels points communs ? Et que sera la Brigade dans 20 ans ? ALLO DIX-HUIT vous propose quelques éléments de réponse autour de ce nombre symbolique.

ADJUDANT JÉRÔME J. & PREMIÈRE CLASSE THÉO P.
20 ANS D’ÉCART : QUELLES DIFFÉRENCES ?

Le pre­mier a 20 ans de ser­vice à la Bri­gade et connaît par­fai­te­ment les rouages de l’Institution. Le second a tout juste 20 ans et découvre encore, avec enthou­siasme, les joies du métier de sapeur-pom­pier de Paris. Deux géné­ra­tions dif­fé­rentes, aux­quelles ALLO DIX-HUIT a posé les mêmes ques­tions. Réponses.

Pour­quoi avez-vous rejoint la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris ?
Sapeur de pre­mière classe Théo P. : Mon père était sapeur-pom­pier de Paris, affec­té au centre de secours Auteuil…

Adju­dant Jérôme J. : D’abord, je suis deve­nu sapeur-pom­pier volon­taire dans la Manche, ma région d’origine. Ce métier m’a immé­dia­te­ment séduit : le sport, les camions, les inter­ven­tions, les rela­tions humaines, le dépas­se­ment de soi… C’est vite deve­nu une pas­sion. Ensuite, un ami a rejoint les rangs de la Bri­gade et m’a dit que c’était fait pour moi. Alors j’ai ten­té ma chance à Paris… et je suis arri­vé à Garches (rires) !

Quel est votre par­cours au sein de la BSPP ?
1CL : J’ai été incor­po­ré en octobre 2018. Mon sou­hait de ser­vir au 3e grou­pe­ment d’incendie et de secours a été accep­té, comme mon sou­hait d’être affec­té à la 6e com­pa­gnie d’incendie et de secours. J’ai pas­sé trois mois au centre de secours Gre­nelle et depuis mai 2019, je suis sapeur-pom­pier dans le même centre de secours que mon père, il y a quelques années, à Auteuil.

ADJ : J’ai 20 ans de ser­vice, bien­tôt 21. Ma pre­mière affec­ta­tion a été la 16e com­pa­gnie, dans le 3e GIS. J’ai d’abord été mili­taire du rang au CS Garches, puis au CS Bou­logne, puis encore à Garches… Je me sou­viens d’ailleurs par­fai­te­ment de l’adresse : 18, rue des jar­dins ! Aujourd’hui, le CS Garches a dis­pa­ru mais mes sou­ve­nirs, eux, sont intacts.
Ensuite, j’ai ser­vi en intra-muros, mais cette fois en tant que sous-offi­cier, au CS Port-Royal. Plus tard, je suis retour­né à Bou­logne, puis à l’état-major du 3e grou­pe­ment et enfin, au centre de secours Auteuil. J’en suis le chef de centre depuis l’été 2020.

Vous sou­ve­nez-vous de votre pre­mière garde ?
1CL : Ma pre­mière garde à Auteuil, j’étais au pre­miers-secours (PS). C’était un PS de 4e géné­ra­tion, en rem­pla­ce­ment du PS 206 d’Auteuil.
ADJ : Je m’en sou­viens bien ! Au pre­mier-secours tonne (PST) de Garches : homme de liai­son, garde-cui­sine, troi­sième veillée. Pen­dant trois jours (rires) !

Et votre pre­mière inter­ven­tion ?
1CL : Ma pre­mière inter­ven­tion, j’étais en immer­sion au CS Gre­nelle, en 4e équi­pier au véhi­cule de secours et d’assistance aux vic­times (VSAV). Nous avions rele­vé une per­sonne âgée qui avait fait une mau­vaise chute sur la voie publique.

ADJ : Je ne me sou­viens pas de ma pre­mière inter­ven­tion. Mais par­mi les pre­mières, il y avait celles pour acci­dent de cir­cu­la­tion sur l’autoroute A13. Je me sou­viens très bien des tra­jets avec le PST… Il fal­lait que les autres auto­mo­bi­listes se poussent ! Je me rap­pelle éga­le­ment qu’avec rela­ti­ve­ment peu de moyens, on fai­sait beau­coup. Le sac prompt secours, à l’époque, c’était une mal­lette en fer. La rus­ti­ci­té de la Bri­gade, c’est la pre­mière chose qui m’a marqué.

L’ALTRUISME EST LA PLUS IMPORTANTE DES VALEURS DU POMPIER DE PARIS.

1CL Théo P.

Votre pre­mier engin ?
1CL : Le VSAV de Grenelle.

ADJ : Le PST de Garches !

Votre pre­mière tenue de feu ?
1CL : À l’instruction, la tenue de feu bleue, puis la rouge, en com­pa­gnie d’incendie.

ADJ : C’était un cuir, pas bien épais, à petites bandes réflé­chis­santes. Ensuite, nous avons eu les grandes bandes réflé­chis­santes, puis les tenues tex­tiles au début des années 2000. Plus récem­ment, à par­tir de 2017, les tenues de feu oranges, puis les rouges, que nous venons jus­te­ment de per­ce­voir au CS Auteuil.

Votre inter­ven­tion mar­quante ?
1CL : J’ai fait un feu de crèche en mars 2020 en tant que pre­mier ser­vant à la pompe ! Sinon, en immer­sion à Gre­nelle, on a fait un accou­che­ment. C’était d’ailleurs ma petite fier­té quand je suis retour­né à Vil­le­neuve-Saint-Georges pour ache­ver ma for­ma­tion ini­tiale !
ADJ : Mon inter­ven­tion mar­quante, je l’ai eue au bout de 20 ans… C’est Erlan­ger. J’étais le pre­mier chef de garde sur les lieux. Je n’avais jamais vu un incen­die d’une telle ampleur. Ce feu a véri­ta­ble­ment mis une image sur ce que j’apprends depuis « tout petit » à la Bri­gade. J’ai vu que la déter­mi­na­tion per­met de tout faire, tant du côté du com­man­de­ment que de ceux en pre­mière ligne face au sinistre. Erlan­ger, c’était du sérieux. Per­sonne n’a rien lâché. Quelque part, je me suis pré­pa­ré 20 ans pour cette inter­ven­tion. C’est bien la preuve que le modèle Bri­gade fonc­tionne.
Cepen­dant, d’autres inter­ven­tions, bien moins dimen­sion­nantes, m’ont tout autant mar­qué. Notam­ment en secours à vic­time. Côtoyer une cer­taine part de la détresse humaine, qu’elle soit phy­sique, psy­cho­lo­gique ou sociale, change notre per­cep­tion du monde.

Quel regard por­tez-vous l’un sur l’autre ?
ADJ : Je suis bien­veillant avec lui, parce que je connais son papa (rires). Plus sérieu­se­ment, je suis bien­veillant avec tous. Nos jeunes sont l’avenir de l’Institution.

1CL : L’adjudant, comme on dit, c’est… « le vieux » (rires). C’est un sur­nom affec­tif, en réfé­rence à son ancien­ne­té et son expé­rience. C’est le chef de centre. Il est à notre écoute au CS et « stable au feu » sur inter­ven­tion. C’est une chance d’être en centre de secours pour la proxi­mi­té que l’on peut avoir avec les sous-offi­ciers. C’est vrai­ment enri­chis­sant, tant humai­ne­ment que professionnellement.

Com­ment vous voyez-vous dans 20 ans ?
ADJ : J’aurais 63 ans donc… à la retraite ! Au soleil de Normandie.

1CL : Peut-être que j’aurai ma retraite, à 19 ans et demi de ser­vice ! Mais d’abord, j’aimerais ter­mi­ner mon pre­mier contrat, et le ter­mi­ner à la remise. Cette année, je vais pas­ser le per­mis poids lourds et le stage conduc­teur engin-pompe (CEP)… J’ai hâte. Plus tard, j’irai à l’avancement. Je ne sais pas si je serai chef de centre un jour, mais je vou­drais au moins être chef d’agrès engin-pompe. C’est mon objectif.

Pour vous, que repré­sente la BSPP ?
1CL : La Bri­gade, pour moi, c’est le haut du podium des sapeurs-pompiers.

ADJ : La Bri­gade repré­sente tout sim­ple­ment 20 ans de ma vie.

NOS JEUNES SONT L’AVENIR DE L’INSTITUTION.

ADJ Jérôme J.

Com­ment res­sen­tez-vous le fait d’avoir « 20 ans » à la Bri­gade ?
1CL : C’est une forme d’aboutissement… Je crois aus­si que la Bri­gade m’a appor­té une cer­taine matu­ri­té, par rap­port aux amis de mon âge. Je me rends compte que nous voyons par­fois la vie dif­fé­rem­ment. Peut-être à cause des interventions.

ADJ : Le temps passe tel­le­ment vite… On ne fait pas atten­tion. Hier encore, j’étais mili­taire du rang à Garches et aujourd’hui, je suis chef de centre à Auteuil. À l’époque, on s’engageait pour quinze ans et je ne pen­sais pas du tout en arri­ver là. C’est une forme d’aboutissement.
Par­fois, je me sens vieux dans le sens où il y a un fos­sé géné­ra­tion­nel avec nos plus jeunes, comme Théo, mais opé­ra­tion­nel­le­ment, je ne me sens pas du tout vieux. Au contraire, je me sens par­fai­te­ment bien dans mes bottes.
Quels sont vos points com­muns ?
1CL : Pro­ba­ble­ment la pas­sion. Si l’adjudant est là où il est aujourd’hui, je pense que c’est parce qu’il est pas­sion­né. On a la même pas­sion et la Bri­gade nous plait. Et on porte aus­si la même tenue (rires).

ADJ : Il aime le métier, comme moi. Je suis un amou­reux de ce métier. Je ne pour­rais rien faire d’autre. Je crois aus­si que d’une cer­taine manière, sa vision de la Bri­gade peut être com­pa­rable à la mienne, sans doute en rai­son de l’influence de son père, ancien sapeur-pom­pier de Paris.

Qu’est-ce qu’un sapeur-pom­pier ?
ADJ : Selon moi, un sapeur-pom­pier de Paris est quelqu’un qui a le sens du sacri­fice. Il se dévoue pour la com­mu­nau­té et est capable de faire pas­ser sa vie après celle des autres. Un sapeur-pom­pier de Paris, c’est aus­si un mili­taire, dans sa dis­ci­pline et sa rigueur. Dès lors que le chef décide, on avance. C’est la force du collectif.

1CL : Je crois que le pom­pier de Paris est un cou­teau-suisse du risque ! C’est aus­si celui qui a choi­si de ser­vir la popu­la­tion, par­fois au péril de sa vie. Mais pas tou­jours. Un rele­vage n’est pas néces­sai­re­ment urgent ou dan­ge­reux, mais il faut le faire. L’altruisme, pour moi, est la plus impor­tante des valeurs du sapeur-pom­pier de Paris.


MAJOR CLAUDE THUON
20 ANS À LA CRÉATION DE LA BSPP !

Le major Claude Thuon est né le 1er avril 1949, au len­de­main de la seconde guerre mon­diale. Incor­po­ré en 1967, il avait presque 20 ans lorsque le Régi­ment est deve­nu, cette même année, la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris. ALLO DIX-HUIT est allé à la ren­contre de cet homme pas­sion­nant et pas­sion­né, la BSPP che­villée au corps.

À Ches­sy-les-Prés, dans l’Aube, l’accueil du major Claude Thuon est cha­leu­reux et bien­veillant, presque fami­lial. Son esprit est aus­si vif que son éner­gie est débor­dante. Visi­ble­ment, l’homme est hyper-actif… Dif­fi­cile de croire qu’il a pris sa retraite il y a plus de quinze ans, après 37 années de ser­vice au sein de l’Institution.

MATRICULE 11 689
« J’ai été incor­po­ré en sep­tembre 1967, à l’âge de 18 ans, annonce Claude Thuon. J’ai com­men­cé sapeur et j’ai fini adju­dant-chef en 2004, puis major dans la réserve opé­ra­tion­nelle en 2007. Mon matri­cule ? C’est 11 689… Et la liste n’a ces­sé de s’allonger jusqu’à aujourd’hui. » Début 1968, après sa for­ma­tion ini­tiale au fort de Vil­le­neuve-Saint-Georges (94) et au centre de secours Cha­li­gny (Paris XIIe), le sapeur Thuon est affec­té au CS Pois­sy (Paris Ve) pour effec­tuer le pelo­ton d’élèves capo­raux. « Les évé­ne­ments de mai 68 ont eu lieu pen­dant mes quatre mois de pelo­ton, se rap­pelle le major. Nous étu­dions la théo­rie toute la jour­née au couvent des Ber­nar­dins et le soir, on par­tait sur inter­ven­tion dans les rues de la capitale ! »

LES GRANDS ANCIENS
Claude Thuon a conser­vé d’innombrables sou­ve­nirs des pre­mières années de la Bri­gade. « Il m’arrive sou­vent de dire que nous avons appris tout ce que les grands Anciens ont appris. Du fusil à ver­rou MAS 36 au FAMAS, du pre­mier secours Hot­ch­kiss au FACA1, de l’avertisseur public au télé­phone por­table… De la méthode Schef­fer Niel­sen au DSA, il a fal­lu apprendre et oublier sou­vent. Au départ, on sen­tait d’ailleurs que ce qu’on appre­nait était “un peu vieux jeu” et que les règle­ments d’après-guerre n’avaient pas beau­coup évo­lué. C’était un appren­tis­sage à la dure qui ne lais­sait rien pas­ser… Plus tard, vers le milieu des années 70, tout a chan­gé. L’aluminium va rem­pla­cer le bronze, de nou­veaux règle­ments de manœuvres appa­raissent, les rela­tions humaines et la péda­go­gie deviennent plus expli­ca­tives… Je me sou­viens du chef d’état-major de l’armée de Terre de l’époque qui aimait à dire “Dans l’Armée fran­çaise, il n’y a pas de petit rôle, tout le monde est sur le devant de la scène”. »
Du côté des équi­pe­ments de pro­tec­tion indi­vi­duels, Claude Thuon a éga­le­ment connu des évo­lu­tions majeures. « Outre l’arrivée du casque F1 en 1985, qui a per­mis aux jeunes géné­ra­tions d’être plus per­for­mantes, ana­lyse le major, je garde en mémoire mes pre­mières inter­ven­tions pour feu où je por­tais che­mise et cra­vate sous mon ves­ton de peau avec pour pro­tec­tion res­pi­ra­toire l’ARI Man­det modèle 1954… C’était une autre époque ! »

la moi­tié des contin­gents ne savaient pas nager…

LA VIE EN ROUGE
Après un début de car­rière au CS Pois­sy, le jeune mili­taire est affec­té au centre d’instruction des recrues (CIR), notam­ment pour ses qua­li­tés phy­siques et spor­tives. « Je suis titu­laire des diplômes IEPS2 et MNSE3, pour­suit-il. Au fort, ils avaient des pro­blèmes avec la nata­tion puisque près de la moi­tié des contin­gents ne savaient pas nager… Il fal­lait du renfort ! »

Capo­ral-chef en 1972, ser­gent en 1973, ser­gent-chef en 1977, adju­dant en 1981 et adju­dant-chef en 1985, Claude Thuon se voit confier de 1987 à 1991 les clefs du centre de secours de Neuilly-Sur-Marne (93), dans le pre­mier grou­pe­ment. « Ces années en tant que chef de centre ont été par­mi les plus riches de ma car­rière, sou­ligne le major. L’opérationnel, la for­ma­tion des plus jeunes, qui ne per­met aucune hési­ta­tion, et le sport sont l’essence même de notre métier… La fonc­tion de chef de centre est d’ailleurs l’aboutissement de nom­breuses années d’efforts ! »

Après quelques années au bureau for­ma­tion ins­truc­tion (BFI), Claude Thuon ter­mine sa car­rière en 2004, en tant que res­pon­sable de la pis­cine de Mas­sé­na. Depuis, le sous-offi­cier est par­ti­cu­liè­re­ment inves­ti dans les mis­sions de la réserve, d’abord opé­ra­tion­nelle puis citoyenne, notam­ment dans le cadre des dis­po­si­tifs jeu­nesse. « Mes res­pects, major. »

1 FACA : four­gon d’appui et camion d’accompagnement
2 IEPS : ins­truc­teur d’entraînement phy­sique spé­cia­li­sé
3 MNSE : maître nageur sau­ve­teur d’État

LA COLLECTION D’UNE VIE

Le major Thuon pos­sède une impres­sion­nante col­lec­tion de plus de 1 000 pièces consa­crées aux sapeurs-pom­piers de Paris. Pas­sion­né d’uniformologie et tout par­ti­cu­liè­re­ment par les uni­formes de pom­piers de Paris, le sous-offi­cier s’est consti­tué un véri­table musée dédié à l’Institution, chez lui. « Tout a com­men­cé en 1981, avec l’acquisition d’un aver­tis­seur public, révèle le major. Depuis, j’ai ras­sem­blé près de 50 casques de 1830 au F1 de 1985, de nom­breux équi­pe­ments indi­vi­duels, tenues, coif­fures, cein­tu­rons, car­tou­chières, déco­ra­tions, avec l’armement d’époque de 1800 à 1980, ce qui me per­met d’habiller dif­fé­rents man­ne­quins en tenue de prises d’armes. J’ai éga­le­ment du maté­riel lourd, des pompes à bras, des moto­pompes, des échelles à cro­chets et des ARI de 1924 à 1985. Ma der­nière acqui­si­tion ? Un ARI Man­det 1939 du Régi­ment ! Mais ma plus belle pièce, bien que n’ayant pas de lien direct avec le Régi­ment, est un véhi­cule COMMAND CAR Amé­ri­cain de 1942, peint en rouge ver­sion pom­pier d’après-guerre. Sans oublier une docu­men­ta­tion impor­tante enri­chie de nom­breuses pho­tos… Pour moi, être col­lec­tion­neur ne signi­fie pas « entas­ser » du maté­riel ancien, mais com­prendre l’évolution des équi­pe­ments au fil du temps et trans­mettre, aux jeunes géné­ra­tions, l’histoire des sol­dats du feu. »


ADJUDANT-CHEF YANNICK L. F.
20 ANS DE MÉCANIQUE BIEN HUILÉE

ADC L.F. devant un engin BSPP

Il est des sapeurs-pom­piers de Paris dont le par­cours sin­gu­lier mérite d’être sou­li­gné. L’adjudant-chef Yan­nick L. F. est de ceux-là. Nous sommes allés à la ren­contre de ce sous-offi­cier humble et dis­cret, sur­pris que votre maga­zine ALLO DIX-HUIT sou­haite retra­cer sa carrière.

« Après un cer­ti­fi­cat d’aptitude pro­fes­sion­nelle et un bre­vet d’études pro­fes­sion­nelles de tour­neur-frai­seur, indique l’adjudant-chef Yan­nick L.F., j’ai obte­nu un bac­ca­lau­réat tech­no­lo­gique en construc­tion méca­nique, puis un bre­vet de tech­ni­cien supé­rieur en pro­duc­tique. Ensuite, j’ai été appe­lé à ser­vir sous les drapeaux… »

Au début de l’automne 1995, le jeune diplô­mé rejoint alors la Marine natio­nale : « à ce moment, je ne savais pas du tout où j’allais être affec­té… Et j’ai eu la chance de rejoindre la base d’aéronautique navale de Lann-Bihoué, à Ploe­meur, dans le Mor­bi­han (56). Je suis deve­nu marin-pom­pier ! Là-bas, j’ai appris à connaître et appré­cier ce métier. » Les mois passent, les inter­ven­tions se suc­cèdent et le mate­lot L.F. devient rapi­de­ment quar­tier-maître de pre­mière classe (NDLR : équi­valent de capo­ral-chef dans la Marine). « Le métier de pom­pier me plai­sait beau­coup, et lorsqu’un ami est deve­nu sapeur-pom­pier de Paris, j’ai deman­dé à signer un contrat de volon­ta­riat ser­vice long (VSL) et à rejoindre la BSPP ». Après un an et neuf mois dans la Marine, Yan­nick L.F. rejoint les rangs de la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris, le 1er juillet 1997. « J’étais ce qu’on appelle “un ulté­rieur”, se sou­vient l’adjudant-chef. Et réin­cor­po­ré sapeur de pre­mière classe mais cela ne m’a pas posé de pro­blème, bien au contraire. Ma for­ma­tion ini­tiale au fort de Vil­le­neuve-Saint-Georges (94) s’est par­ti­cu­liè­re­ment bien dérou­lée. » À l’issue de ses classes, Yan­nick L.F. est affec­té à la cel­lule pro­duc­tion (deve­nu BMCO) du camp de Volu­ceau « très pro­ba­ble­ment en rai­son de mes diplômes, sou­ligne-t-il. Au départ, j’ai été un peu déçu de ne pas inté­grer une com­pa­gnie d’incendie mais avec le recul, je n’ai abso­lu­ment aucun regret. » Immé­dia­te­ment, le sapeur de pre­mière classe L.F. se voit confier une mis­sion des plus intéressantes.

L’HOMME DU RECOMAT
« Une de mes pre­mières mis­sions, si ce n’est pas la pre­mière, a été de créer un outil de véri­fi­ca­tion du maté­riel per­met­tant d’avoir une vision d’ensemble, confie l’adjudant-chef. J’ai donc tra­vaillé sur la créa­tion et la mise en place du registre de contrôle du maté­riel (RECOMAT), encore uti­li­sé aujourd’hui, plus de 20 ans après ! » Pen­dant plus de deux ans, le pre­mière classe L.F. réper­to­rie et réa­lise des fiches de contrôle pour l’ensemble du maté­riel pré­sent dans les engins de la Bri­gade. « Il existe une fiche RECOMAT pour tout ce qu’il y a dans les engins, assure l’adjudant-chef. Des lances aux divi­sions en pas­sant par les sacs prompt-secours, chaque maté­riel est réper­to­rié et décrit en termes de véri­fi­ca­tions et d’entretien quo­ti­dien, men­suel ou annuel. Nous avions fait énor­mé­ment de recherches car, par­fois, il n’existait aucune notice ou docu­ment de réfé­rence. » De nos jours, l’arrêté du 1er mars 2004 rela­tif aux véri­fi­ca­tions des appa­reils et acces­soires de levage encadre la tenue du registre de contrôle du maté­riel de la Bri­gade. « Je suis fier d’avoir contri­bué à la mise en place de cet outil » souffle le sous-offi­cier. Après cette mis­sion de longue durée et fort d’une excel­lente connais­sance du maté­riel en dota­tion à la BSPP, le sapeur de pre­mière classe L.F. décide alors de gra­vir les échelons.

UN GARS DE LA MARINE
Nous sommes au début des années 2000 lorsque « je com­mence mon avan­ce­ment, pré­cise l’adjudant-chef. Je me rap­pelle de la dif­fi­cul­té d’obtenir mes exa­mens et stages en étant affec­té dans les ser­vices. À l’époque, il n’y avait pas de pelo­tons réser­vés aux spé­cia­listes ou assi­mi­lés. J’ai fait le pelo­ton d’élèves capo­raux et capo­raux-chef “comme tout le monde” ! Mais ma plus grande dif­fi­cul­té, à vrai dire, c’était plu­tôt la nata­tion… Pour “un gars de la Marine”, c’est assez amu­sant ». Plus tard, le désor­mais capo­ral-chef L.F. obtient son cer­ti­fi­cat tech­nique de pre­mier degré (CT1) dans le domaine incen­die. « Je suis véri­ta­ble­ment deve­nu spé­cia­liste en deve­nant sous-offi­cier. Aux écoles mili­taires de Bourges (EMB), j’ai obte­nu un deuxième CT1 de main­te­nance et mobi­li­té ter­restre (MMT). Je garde d’ailleurs un très bon sou­ve­nir de cette for­ma­tion, qui m’a appor­té énor­mé­ment de connais­sances en méca­nique auto­mo­bile. » De retour à la Bri­gade, le ser­gent L.F. est alors affec­té dans le pre­mier grou­pe­ment, plus pré­ci­sé­ment aux ate­liers de Bondy.

À LA DÉPANNEUSE, ON FAIT PARFOIS DE LA MÉCANIQUE DE GUERRE

JE DEMANDE UN CD
Au milieu des années 2000, les ate­liers de grou­pe­ment, et notam­ment celui de Bon­dy, arment des engins de secours pour le moins sin­gu­liers : les camions de dés­in­car­cé­ra­tion. « Nous étions en ser­vice incen­die, remarque l’adjudant-chef L.F.. C’était un moment fort de ma car­rière. D’abord parce que j’ai été adjoint au chef d’atelier puis chef d’atelier, mais aus­si parce que j’ai déca­lé en tant que chef d’agrès au camion de dés­in­car­cé­ra­tion (CD) et au bras élé­va­teur arti­cu­lé (BEA). J’ai fait des bons feux, de bonnes dés­in­car­cé­ra­tions… Ce qui est bien au CD, c’est que nous sommes atten­dus par les pri­mo-inter­ve­nants. C’est gra­ti­fiant ! » Au bout de neuf années, pas­sées à conci­lier la spé­cia­li­té de méca­ni­cien et celle de secou­riste, sonne l’heure du retour aux sources pour le sous-officier.

PLUS DE 200 ENGINS
« En 2017, pour­suit l’adjudant-chef, j’ai retrou­vé le camp de Volu­ceau. En tant que chef de l’atelier échelles de la com­pa­gnie de main­te­nance (CMAI), je m’assure, avec mon équipe, de la véri­fi­ca­tion et de l’entretien de l’ensemble des échelles du parc, soit près de 70 engins. » En plus des moyens aériens, les onze hommes de l’atelier, tous spé­cia­listes, assurent éga­le­ment la main­te­nance de tous les autres maté­riels hydrau­liques. « Comme ce matin, où la table de rele­vage d’une ambu­lance de réani­ma­tion est tom­bée en panne. Une panne hydrau­lique, donc c’est pour nous. Au total, nous contri­buons à l’entretien de plus de 200 engins. Sans comp­ter l’aspect opé­ra­tion­nel, avec l’armement de la dépan­neuse (DEP). »

L’adjudant-chef Yan­nick L.F. est aujourd’hui âgé de 48 ans, dont la moi­tié au ser­vice de la France. « Je suis né à Saint-Brieuc, dans les Côtes‑d’Armor, et j’y vis tou­jours avec ma famille. Je suis un véri­table pom­pier TGV ! La Bri­gade est une ins­ti­tu­tion for­mi­dable, conclut l’adjudant-chef. Elle per­met de s’épanouir dans de nom­breux domaines. » Nous lui sou­hai­tons d’ailleurs suc­cès et épa­nouis­se­ment pour la suite de sa carrière.


CHEF DE BATAILLON STÉPHANE M.
DEUX FOIS 20 ANS DE SERVICE !

Après 40 années de ser­vice à la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris, le com­man­dant Sté­phane M. prend la route de la retraite en direc­tion de son dépar­te­ment natal : la Cha­rente. Peu avant son départ, nous lui avons deman­dé de jeter un petit coup d’œil dans le rétroviseur.

Dès son plus jeune âge, le jeune cha­ren­tais sait ce qu’il veut faire de sa vie. Un livre sur les pom­piers de Paris, et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur le centre de secours Cham­per­ret, ren­force son sou­hait d’être sapeur-pom­pier. Une vraie voca­tion est née.

LA DÉCOUVERTE
À l’automne 1981, Vil­le­neuve-Saint-Georges est le pas­sage obli­gé de toutes les recrues. « Une for­ma­tion dure, se sou­vient le com­man­dant. Le chan­ge­ment est radi­cal entre la vie étu­diante et le milieu mili­taire. Il a fal­lu prendre immé­dia­te­ment le rythme, sous peine d’être chan­gé de corps pour ter­mi­ner son ser­vice mili­taire ». En fouillant dans ses sou­ve­nirs, le com­man­dant se remé­more le nom de sa sec­tion : « j’étais sec­tion Cele­rier, je crois. Les ins­truc­teurs connais­saient bien le métier et étaient bons en sport. Ils étaient impec­cables. Ils reflé­taient bien l’Institution, à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas ».

Après sa for­ma­tion ini­tiale, son affec­ta­tion à la 4e com­pa­gnie d’incendie est une vraie satis­fac­tion. « Au centre de secours Malar, le chef de centre était exi­geant dans tous les domaines, notam­ment en sport. La vie de sapeur était ryth­mée par les piquets de télé­pho­niste et de garde cui­sine, caden­cée par les dix-huit gardes et les deux réserves par mois. Mais en ce qui me concerne, un évè­ne­ment impré­vu est venu bous­cu­ler cette nou­velle vie en centre de secours. » Saxo­pho­niste avant l’incorporation, le sapeur M. intègre la musique de la Bri­gade. Pen­dant quatre ans, il par­tage son emploi du temps entre les répé­ti­tions, les inter­ven­tions, la vie en com­pa­gnie d’incendie et les repré­sen­ta­tions. Par­ti­cu­liè­re­ment moti­vé par le métier, Sté­phane M. obtient rapi­de­ment le grade de capo­ral. « La réus­site au pelo­ton des élèves capo­raux a été l’élément déclen­cheur de ma car­rière. Je dis sou­vent que si vous faites les capo­raux, vous avez fait le plus dur. »

SUR LES CHAMPS-ELYSÉES
Quelques années plus tard, Sté­phane M. est nom­mé ser­gent. « En 1987, j’ai par­ti­ci­pé à mon pre­mier défi­lé sur les Champs-Ély­sées en tant que jeune sous-offi­cier, sou­ligne le com­man­dant. Ensuite, je suis deve­nu sous-offi­cier admi­nis­tra­tif au centre de secours de Port-Royal, puis sous-chef de centre à Nan­terre, et enfin chef de centre de 1997 à 2001 dans ce même centre de secours. » Le com­man­dant recon­naît d’ailleurs que sa prise de fonc­tion au CS Nan­terre « est un concours de cir­cons­tance, je n’avais jamais envi­sa­gé d’être chef de centre à Nan­terre. En fait, la place de sous-chef de centre se libé­rait. Et j’ai fini par en deve­nir le chef de centre. Ma famille a dû s’adapter à cette nou­velle vie, comme à chaque nou­velle mutation ».

“Cer­taines inter­ven­tions m’ont réveillé la nuit, mais… ça va mieux…”

Au centre de secours Nan­terre, Sté­phane M. est heu­reux : « le chef de garde c’est le sapeur-pom­pier par excel­lence. Au CS, nous avions un départ nor­mal (DN) asso­cié à une grosse acti­vi­té opé­ra­tion­nelle. C’est un sec­teur de plus de 100 000 habi­tants où les secours peuvent être confron­tés à tout type de situa­tion ! J’ai véri­ta­ble­ment pris la mesure du métier de sapeur-pom­pier au centre de secours de Nan­terre ». En 2000, le chef de garde est d’ailleurs confron­té à une situa­tion hors-norme : un feu de camion-citerne de 30 000 litres de super­car­bu­rant, à proxi­mi­té d’un dépôt de papier… Une inter­ven­tion inou­bliable qui néces­si­te­ra un impor­tant volume d’engins.

Gra­vé dans sa mémoire éga­le­ment, le jour « où j’ai failli perdre un chef d’équipe. Il a été griè­ve­ment brû­lé après un effon­dre­ment et n’a jamais pu reprendre le ser­vice incen­die. C’est un des moments les plus dou­lou­reux de ma car­rière ». Le com­man­dant sait par­fai­te­ment que la vie du pom­pier de Paris n’est pas un long fleuve tran­quille. « Cer­taines inter­ven­tions m’ont réveillé la nuit, mais… ça va mieux, assure-t-il. On fait sou­vent un focus sur les inter­ven­tions média­tiques, mais il ne faut pas oublier que n’importe quelle inter­ven­tion du quo­ti­dien peut mar­quer la vie d’une per­sonne pour tou­jours. Nous devons abso­lu­ment en avoir conscience et faire preuve d’empathie. Nous effec­tuons au VSAV des inter­ven­tions majeures tous les jours. »

hane M.
Sapeur Sté­phane M.

Après un pas­sage riche en émo­tions à Nan­terre, Sté­phane M. prend la direc­tion de Bou­logne pour deve­nir l’adjudant d’unité de la 16e com­pa­gnie d’incendie et de secours. « C’est une grande com­pa­gnie où il est agréable de tra­vailler, pour­suit l’officier. J’ai réus­si le concours de major, et ce grade m’a ouvert des portes incroyables. » En effet, le major M. est choi­si pour deve­nir offi­cier rang. De nou­velles pers­pec­tives s’offrent à lui.

120 TONNES DE FUEL SUR LES RAILS
« Je suis de nou­veau affec­té à Port-Royal, d’abord comme lieu­te­nant puis en tant qu’adjoint du com­man­dant de com­pa­gnie, reprend le com­man­dant M.. Pen­dant trois ans, j’ai vécu une séquence opé­ra­tion­nelle avec de nom­breuses prises de COS et beau­coup d’opérations impor­tantes, plu­sieurs feux de cage d’escaliers, de nom­breux sau­ve­tages ou encore ce wagon de 120 tonnes de fuel qui a déraillé du côté de la gare Mont­par­nasse… » Le com­man­dant admet que cet intense épi­sode opé­ra­tion­nel était inat­ten­du, tout comme sa prise de com­man­de­ment de la 5e com­pa­gnie d’incendie et de secours. « À vrai dire, je pen­sais com­man­der une com­pa­gnie de logis­tique… Mais pas la com­pa­gnie de sapeurs-pom­piers du livre de mon enfance, s’amuse le com­man­dant ! Ces trois années de com­man­de­ment sont l’aboutissement de trois décen­nies en com­pa­gnie d’incendie, mar­quées par de nom­breuse inter­ven­tions, des cen­taines d’anecdotes et de ren­contres exceptionnelles. »

Spor­tif accom­pli, mara­tho­nien, le com­man­dant d’unité monte, à presque 50 ans, sa planche en tenue de feu. Humble et sans aucune fausse modes­tie, le chef de bataillon M. estime qu’il doit ses bons résul­tats à ceux qui l’ont accom­pa­gné tout au long de sa for­mi­dable car­rière. Une car­rière qui l’a ensuite mené au bureau ingé­nie­rie de la for­ma­tion (BIF) pen­dant trois ans, puis au bureau des opé­ra­tions et de la pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle (BOPO) depuis 2015, en tant que chef de la sec­tion orga­ni­sa­tion opé­ra­tion­nelle (ORGOPS).

En 1981, le sapeur M. décou­vrait le fort de Vil­le­neuve-Saint-Georges avec un cer­tain éton­ne­ment. En 2021, au même endroit, le chef de bataillon M. a reçu la Légion d’honneur des mains du géné­ral com­man­dant la Bri­gade, avec beau­coup d’émotion et de fier­té. Le com­man­dant a pris sa retraite le 13 avril, à 59 ans, bien déci­dé à reprendre le saxo­phone. La boucle est bouclée.


ET DANS 20 ANS ?
UNE GARDE EN 2041

Ima­gi­ner le futur tech­no­lo­gique peut paraître simple. Entre fan­tasme et réa­li­té vite dépas­sée, il est extrê­me­ment com­plexe d’esquisser les outils de demain. Pour­tant, des ten­dances lourdes émergent et, en y ajou­tant un peu d’intuition, nous pou­vons des­si­ner un aper­çu des tech­no­lo­gies du pom­pier du futur : maî­trise de la com­po­sante aérienne, numé­ri­sa­tion de l’espace d’intervention, pro­tec­tion du sapeur ren­for­cée. Le com­man­dant Tho­mas Sous­se­lier, aujourd’hui au ser­vice de l’Agence de l’innovation de défense (AID) a écrit ce texte lorsqu’il était ingé­nieur au Bureau études pros­pec­tives (BEP) de la BSPP.

« L’as­sis­tant per­son­nel du capo­ral-chef Anna dif­fuse une musique douce, conçue sur-mesure pour favo­ri­ser son réveil, puis l’abreuve des infor­ma­tions de la nuit, agré­men­tées de quelques publi­ci­tés ciblées.
Après un petit-déjeu­ner express, Anna se penche sur le ser­vice du jour. Par sa spé­cia­li­té SUAP, elle sait qu’elle équi­pe­ra un VSAV — chef d’a­grès au VSAV 1 aujourd’­hui — mais elle sou­haite connaître le thème du ren­for­ce­ment des acquis du jour. En se basant sur de nom­breux cri­tères, tels que ses der­nières inter­ven­tions, ou ses der­nières éva­lua­tions, le sys­tème d’aide au main­tien des acquis a choi­si : ce sera l’insuffisance coro­na­rienne. Un choix cohé­rent, qu’elle n’a pas pra­ti­qué depuis long­temps.
La Mar­seillaise, l’ap­pel des morts au feu, la planche. Cer­taines choses ne changent pas. Ces points de repères, ras­su­rants, immuables, bâtissent le socle de la Bri­gade, fondent la cohé­sion et conso­lident l’esprit de corps.
Anna monte dans le VSAV 568, avec le capo­ral Pas­cal, son équi­pier du jour. Ils vont donc par­tir pour 24 heures de garde ensemble. Les anciens racontent qu’à une autre époque, les VSAV étaient équi­pés à trois. Bien qu’au­cun ordre de départ ne soit arri­vé, le VSAV 1 quitte la caserne, remonte le Bou­le­vard de Port-Royal, direc­tion Den­fert-Roche­reau. Les pluies ver­gla­çantes de la nuit vont rendre les chaus­sées et quais des trans­ports très glis­sants. En pré­po­si­tion­nant les vec­teurs à proxi­mi­té immé­diate du lieu le plus pro­bable d’in­ter­ven­tion, le Ges­tion­naire Opti­mi­sé des Opé­ra­tions a per­mis de réduire consi­dé­ra­ble­ment les délais de pré­sen­ta­tion : moins de trois minutes en moyenne. D’a­près ce qu’elle a com­pris dans la der­nière news­let­ter du BEP, la Bri­gade aurait eu accès au cal­cu­la­teur quan­tique gou­ver­ne­men­tal pour conce­voir la der­nière ver­sion de la cou­ver­ture opé­ra­tion­nelle. Cette cou­ver­ture opé­ra­tion­nelle est plus per­ti­nente et pré­cise, en explo­rant au mieux l’éventail des risques pos­sibles sur le sec­teur BSPP. Même sans en com­prendre les détails tech­niques, elle a rete­nu qu’une nou­velle fois, la Bri­gade avait su se mon­trer à la pointe et exploi­ter au mieux les der­nières technologies.

PREMIÈRE INTERVENTION DE LA JOURNÉE
Un ordre de départ tombe sur l’ordinateur de bord du VSAV. Comme d’ha­bi­tude, l’at­tente n’au­ra pas été longue. Ce sera un clas­sique pour com­men­cer la garde ; un rele­vage à domi­cile. L’alerte a été don­née par l’assistant domes­tique numé­rique du requé­rant. Les cap­teurs de mobi­li­té de la per­sonne âgée ont détec­té une chute, confir­mée ora­le­ment par la vic­time, néan­moins l’ensemble des cap­teurs bio­mé­di­caux – rythme car­diaque, tem­pé­ra­ture cor­po­relle, fré­quence res­pi­ra­toire… – sont nor­maux. Les habi­tats auto­ma­ti­sés sont deve­nus une vraie aide pour les séniors, mais n’auront pas contri­bué à rajeu­nir la capi­tale. La popu­la­tion de per­sonnes âgées n’a ces­sé de croître ces der­nières années sur le sec­teur.
Pen­dant que Pas­cal ignore les indi­ca­tions de l’or­di­na­teur de bord (rien ne rem­pla­ce­ra la connais­sance sec­teur), Anna prend connais­sance des don­nées de la vic­time, dont le dos­sier a été auto­ma­ti­que­ment trans­mis par son assis­tant numé­rique. Les anté­cé­dents médi­caux per­ti­nents per­mettent de mieux appré­hen­der la situa­tion. Un détail attire l’at­ten­tion d’Anna. Le poids de la vic­time atteint 112 kg, valeur ren­sei­gnée la semaine pré­cé­dente sur une balance connec­tée. Arri­vés sur les lieux en moins de deux minutes, Anna demande à Pas­cal de s’é­qui­per de son exos­que­lette. Le rele­vage n’en sera que plus facile.
Les bilans sont rapi­de­ment éta­blis : aucune prise de note n’est néces­saire, l’as­sis­tant per­son­nel d’Anna s’oc­cupe de retrans­crire les réponses de la vic­time sur une fiche bilan numé­rique et pro­pose des ques­tions adap­tées au contexte. En fonc­tion de son appré­cia­tion de la situa­tion, Anna choi­sit ou non de les poser. Rapi­de­ment, elle est appe­lée sur son inter­face de com­mu­ni­ca­tion : le méde­cin de la coor­di­na­tion médi­cale sou­haite un exa­men appro­fon­di. Effec­ti­ve­ment, l’IA médi­cale soup­çonne un début d’infarctus du myo­carde. Un trans­fert vers l’hô­pi­tal Cochin est fina­le­ment décidé.

depuis le pas­sage à l’oxygène solide, les ARI ont été dras­ti­que­ment allégés

FEU D’IGH !
Au milieu du déjeu­ner, le ron­fleur siffle la son­ne­rie carac­té­ris­tique d’un départ nor­mal. L’ordre de départ, arri­vé direc­te­ment sur l’interface de com­mu­ni­ca­tion du chef de garde, par­tage quelques détails sur l’intervention : il s’agit d’un feu d’appartement au 14e étage d’un IGH.
Moins de cinq minutes plus tard, le DN se pré­sente sur les lieux. L’intervention étant située dans l’hypercentre de Paris, le convoi a rou­lé sans action humaine. Depuis que la Ville de Paris a inter­dit l’accès aux arron­dis­se­ments cen­traux aux véhi­cules non auto­ma­ti­sés, les temps d’interventions ont fon­du : toute la cir­cu­la­tion laisse auto­ma­ti­que­ment la place aux véhi­cules de secours, qui, de manière tota­le­ment auto­ma­ti­sée, peuvent se dépla­cer très vite.
Le chef de garde incen­die est déjà sur zone et com­mence son tour du feu. Ses len­tilles aug­men­tées lui per­mettent d’appréhender les cir­cu­la­tions ver­ti­cales et hori­zon­tales du bâti­ment, lui don­nant plus de marge pour opé­rer sa manœuvre. Son drone de recon­nais­sance a déjà quit­té le toit de sa VL, en toute auto­no­mie. Rapi­de­ment, le drone fait le tour du bâti­ment, et res­ti­tue un ren­du 3D avec une pre­mière loca­li­sa­tion de vic­times poten­tielles, que le COS peut voir appa­raitre au tra­vers de ses len­tilles. Rejoint par cinq autres drones auto­nomes, l’essaim ain­si for­mé va assu­rer une bulle de com­mu­ni­ca­tion sur toute la zone, tout en ali­men­tant la car­to­gra­phie de la situa­tion tac­tique en temps réel et dif­fu­ser l’information vers le COS et l’EMO.
En des­cen­dant du four­gon pompe tonne, Eugène, jeune recrue, aper­çoit le moyen aérien arri­ver. Pen­dant qu’il s’équipe de son ARI à faible encom­bre­ment — depuis le pas­sage à l’oxygène solide, les ARI ont été dras­ti­que­ment allé­gés — Eugène observe un sapeur prendre place sur la pla­te­forme de sau­ve­tage et d’intervention. Il décolle en trombe en pous­sant au maxi­mum les réac­teurs de sa machine volante, pour por­ter secours à trois per­sonnes signa­lées aux fenêtres par l’essaim de drones de recon­nais­sance. Dès les sau­ve­tages effec­tués, la pla­te­forme repart à l’assaut du feu, en ame­nant au plus près du sinistre des moyens d’extinction, en l’occurrence, une lance à brumisation.

IL ACTIVE SA VISION AUGMENTÉE
Arri­vé au point d’accès, Eugène s’engage avec son binôme pour l’extinction. À leur pas­sage, le chef du point d’accès récu­père ins­tan­ta­né­ment l’ensemble des don­nées per­ti­nentes sur son inter­face : iden­ti­fi­ca­tion de per­son­nel, éva­lua­tion de l’autonomie res­tant en fonc­tion de l’historique de leurs inter­ven­tions… Après vali­da­tion, ils s’engagent dans l’IGH. En se rap­pro­chant de l’étage en feu, leur tenue de feu se met à vibrer légè­re­ment. Depuis les der­nières évo­lu­tions appor­tées aux EPI, en par­ti­cu­lier le refroi­dis­se­ment interne des tenues, un sys­tème de retour hap­tique, sous forme de vibra­tion plus ou moins fortes, ren­voie une infor­ma­tion quant à la cha­leur ambiante, indis­pen­sable pour assu­rer la sécu­ri­té du sapeur-pom­pier de Paris.
En débou­chant dans le cou­loir, l’épaisse fumée leur bloque toute visi­bi­li­té. Eugène active sa vision aug­men­tée, via son assis­tant per­son­nel. Ins­tan­ta­né­ment, en plus des infor­ma­tions habi­tuelles d’autonomie, d’orientation et de sta­tut, les infor­ma­tions tac­tiques sont ren­sei­gnées. Il per­çoit alors la posi­tion de son binôme et des sapeurs-pom­piers de Paris de l’étage. Entre les murs, deve­nus visibles dans son casque à la suite du pas­sage des robots de recon­nais­sance qui ont car­to­gra­phié les lieux, Eugène iden­ti­fie rapi­de­ment son objec­tif : la porte d’entrée de l’appartement en proie aux flammes.
Sou­dain, une alerte reten­tit dans ses oreilles, sa tenue de feu vibre, se gonfle d’un coup et la lance à incen­die s’ouvre en mode pro­tec­tion : les robots de recon­nais­sance au bout du cou­loir ont détec­té la sur­ve­nue d’un phé­no­mène ther­mique. Eugène crie à son binôme de se bais­ser et se recro­que­ville sur lui-même. Il n’a pas peur ; il sait que ses EPI résis­te­ront et que l’alerte est don­née jusqu’au COS. Tout de suite, le binôme de sécu­ri­té va s’engager et, grâce à la géo­lo­ca­li­sa­tion, leur por­ter secours rapidement. »

Fina­le­ment, au-delà de diver­tir le lec­teur, cette modeste réflexion ne cherche pas à anti­ci­per un futur qui, le pas­sé nous l’a mon­tré, est par défi­ni­tion insai­sis­sable. Il s’agit d’ouvrir cha­cun d’entre nous, acteurs du milieu pom­pier, à se poser la ques­tion sui­vante : com­ment ima­gine-t-on le futur du métier de pom­pier, aus­si bien dans ses risques que dans ses solutions ?



À LIRE AUSSI…

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