RETEX — Mars 58, l’incroyable entraînement des pompiers de Paris…

Grands formats — Du 10 au 13 mars 1958, tout un quartier du XXe arrondissement de Paris est en feu. Un incendie ravage plusieurs habitations sous le regard des pompiers… immobiles. Les quelques badauds sont intrigués par l’attitude des soldats du feu qui pourtant s’explique. Histoire.

Damien Gre­nèche —  — Modi­fiée le 5 mai 2021 à 10 h 40 

Au tra­vers d’une poli­tique urbaine qui sou­haite assai­nir la ville en fai­sant dis­pa­raître des quar­tiers entiers dési­gnés sous le nom « d’îlots insa­lubres », le colo­nel Bes­son (qui com­man­de­ra le Régi­ment du 11 mars 1962 au 16 mars 1963) trouve le moyen de par­ti­ci­per à la des­truc­tion de cette zone d’habitations mais de manière pro­fi­table. Ain­si l’îlot insa­lubre n°11, le plus ancien de Paris au sein du quar­tier des Aman­diers situé au nord du cime­tière du Père Lachaise, entre les numé­ros 24 à 32 rue des Aman­diers et les numé­ros 5 à 5bis impasse Ronce, fait l’objet d’une expé­ri­men­ta­tion par­ti­cu­lière sur le com­por­te­ment du feu. Un quar­tier misé­reux que s’apprêtent à détruire les pom­piers. « Aucune com­mo­di­té, des pièces exi­guës, pas d’eau cou­rante, […] une rue étroite lugubre et avec cela une puan­teur agres­sive » comme le décrit Georges Guilhot2 qui par­ti­ci­pa à cette aventure. 

Le com­man­de­ment du Régi­ment voit alors dans cette des­truc­tion mas­sive, un point de vue idéal sur la nais­sance et le déve­lop­pe­ment des incen­dies. Lors des inter­ven­tions, les obser­va­tions sont tou­jours dif­fé­rées, car le feu débute avant l’arrivée de secours et, une fois sur place, l’urgence est à l’extinction la plus rapide pos­sible et non à l’étude.

Or ici, c’est l’occasion de réa­li­ser ces obser­va­tions et d’en tirer des ensei­gne­ments. En témoigne le fameux adage : « Dis-moi com­ment tu brûles, et je te dirai com­ment t’éteindre et te pré­ve­nir ». Les offi­ciers du Régi­ment tra­vaille en col­la­bo­ra­tion avec le centre scien­ti­fique et tech­nique du bâti­ment afin d’enregistrer les tem­pé­ra­tures et les gaz de com­bus­tion. Cet orga­nisme a été créé en 1947 pour accom­pa­gner la recons­truc­tion d’après-guerre en France. Il a pour mis­sion de garan­tir la qua­li­té et la sécu­ri­té des bâtiments.

Empêcher la propagation de l’incendie

Les pom­piers pré­parent les essais le 10 mars. C’est une véri­table mise en scène. Des portes coupe-feu sont ins­tal­lées à des endroits pré­cis et les fenêtres bri­sées sont rem­pla­cées. Pour le reste, les ordres sont for­mels : « Lais­ser les choses en l’état et y mettre le feu ». Du bois, des allu­mettes, de l’essence et trois jeunes capo­raux pour la mise à feu (Farge, Mau­pat et Guil­hot), mais éga­le­ment pour empê­cher la pro­pa­ga­tion de l’incendie hors des limites pré­vues, puis pour l’éteindre à la fin de l’expérience.
Le 11 mars débute la pre­mière phase. Il s’agit d’analyser quatre aspects d’un incen­die d’habitations. Tout d’abord, le déve­lop­pe­ment du feu dans un local en fonc­tion de deux variables (le poten­tiel calo­ri­fique et la ven­ti­la­tion). Ensuite, la pro­pa­ga­tion du feu en dehors du local où il a pris nais­sance et notam­ment la trans­mis­sion des incen­dies par rayon­ne­ment d’un étage à un autre. Puis, vient la mesure de la teneur en gaz toxiques (oxyde de car­bone CO) de l’atmosphère des locaux incen­diés. Et enfin, un rap­port sur la valeur de cer­tains dis­po­si­tifs de pré­ven­tion utilisés.

Les lances monitor en action

Le jeu­di 13 mars, une seconde expé­ri­men­ta­tion est mise en place. Les pom­piers déclenchent un incen­die géné­ra­li­sé sur une sur­face de 5 000 m² com­pre­nant vingt-trois bâti­ments. Là, il est ques­tion d’étudier le com­por­te­ment des feux allu­més dans plu­sieurs bâti­ments et livrés à eux-mêmes. Mais éga­le­ment d’observer les pro­pa­ga­tions de bâti­ments à bâti­ments et de tes­ter des espaces coupe-feu. Les sol­dats du feu en pro­fitent pour tes­ter du nou­veau maté­riel. Ain­si, les lances moni­tor, en ser­vice depuis 1956 (4 000 l/​minute) sont mises en place et une expé­ri­men­ta­tion est réa­li­sée sur le jet d’eau pul­vé­ri­sé comme écran entre les flammes et la cha­leur rayonnante.

Les nom­breuses obser­va­tions et les dif­fé­rents rele­vés vont per­mettre de tirer des ensei­gne­ments sur le déve­lop­pe­ment et la pro­pa­ga­tion des incen­dies ain­si que sur cer­tains phé­no­mènes qui les accompagnent.

Ce feu spec­ta­cu­laire attire de nom­breux pari­siens curieux et les pom­piers doivent for­mer un cor­don sani­taire avec leurs tuyaux. L’expérience est une réus­site car elle a été bien orga­ni­sée et suf­fi­sam­ment pro­té­gée. S’en est sui­vie une semaine de déblai.

Sources :
1- Yan­kel Fijal­kow, La Construc­tion des îlots insa­lubres. Paris 1850 – 1945, L’Harmattan, 1997
2- Mon his­toire aux sapeurs-pom­piers de Paris, Edi­livre, 2016
3 — L’ami du XXe

« Lais­ser les choses en l’état et y mettre le feu ».

PARIS. Les pompiers allument un feu… en vidéo

Les actua­li­tés bri­tan­niques de l’é­poque sur­prennent les pom­piers dans cet exer­cice peu com­mun et décident de le rela­ter en image. 

Voi­la la tra­duc­tion de la vidéo d’é­poque qui suit.

« Vingt-trois mai­sons et immeubles vétustes à Paris vont être démo­lis. Les pom­piers de Paris ont donc déci­dé que c’était une bonne excuse pour s’entraîner. Quelques litres d’essence, un aver­tis­se­ment, et c’est par­ti. Les vieilles mai­sons ont été rem­plies avec des mor­ceaux de bois donc pas le temps de flâ­ner. Ce n’est pas sou­vent que notre came­ra­man soit aver­ti d’un incen­die et il est encore plus rare pour le pom­pier de le fil­mer aus­si. Ils veulent étu­dier chaque détail de l’exercice, donc leur camé­ra­man a tra­vaillé à nos côtés. Le but de l’exercice, n’est pas seule­ment de faire des manœuvres, c’est aus­si d’essayer de nou­veaux maté­riels comme cette lance canon qui pré­tend envoyer un jet d’eau à 3 km. Espé­rons que le gou­ver­ne­ment fran­çais pos­sède des para­pluies. Paris n’est pas si grand. Le sou­ci prin­ci­pal est de s’assurer que l’incendie ne se pro­page pas aux mai­sons qui n’ont pas été condam­nées. Mais tout est sous contrôle, l’exercice est un suc­cès et des leçons pré­cieuses ont été apprises. La seule plainte pro­vient du syn­di­cat des démo­lis­seurs, on a fini leur travail. »

Credits

Photos : DR

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